
Chronique décalée d’une famille dominicaine pas comme les autres, La Brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao de Junot Díaz (prix Pulitzer 2008) est certainement l’une des meilleures surprises de cet été.
Toutes tentatives visant à réunir la grande et la petite histoire en littérature est à prendre avec des pincettes, et ceux qui s’en tirent avec les honneurs doivent certainement être considérés comme de grands écrivains, surtout quand ils font à la fois preuve d’une telle rigueur et d’autant de poésie que Junot Díaz dans son premier roman La Brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao.
Livre d’histoire de la République dominicaine, saga familiale menée tambour battant, peinture de toute une génération issue de la diaspora latina, La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao a déjà déjà valu à son auteur de recevoir le prix Pulitzer. avec la tchatche caractéristique et l’humour débridé de l’auteur, aujourd’hui professeur d’écriture de 39 ans, dominicain de naissance et élevé dans le New Jersey.
Destin contrarié
La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao, narre les déboires d’un jeune type pas comme les autres. Oscar, geek dominicain, ne touche pas sa bille en matière de muchachas (ce qui est « très peu dominicain » justement, comme l’assure le narrateur omniscient de ce conte philosophique moderne). Fan de Star Trek, d’anime japonais, de comics US et de fantasy, Oscar est doté, en plus d’un surpoids franchement handicapant et d’une coupe de cheveux incontrôlable, d’un vocabulaire totalement incompréhensible pour n’importe quelle mujeres latinas de son quartier. Une situation qu’il vit d’autant plus mal qu’il tombe régulièrement amoureux et déclare sa flamme à tout bout de champ, de préférence à des filles se situant à milles années lumières de sa culture. Ecrivain frustré (Oscar comptabilise plus de tétralogies SF qu’un auteur publié comme Juan Miguel Aguilera, sans jamais avoir réussi à caser ne serait-ce qu’une nouvelle), il finit par désespérer de la vie. Un désespoir qui, comme le titre l’indique, le poussera à la tragédie tout en lui réservant une épiphanie réellement éblouissante.
Fukù et Zafa
Ce premier roman dépasse largement la trivialité d’une chronique de la loose ordinaire. Par delà les déboires semi-autobiographiques de son personnage, qui est comme lui dominicain de la seconde génération d’immigrés sud-américains, Díaz raconte la longue et douloureuse histoire d’une nation. Durant plus de trente ans, la République dominicaine a eu sa part de malheurs. Sous l’ère Trujillo (1930 – 1961), un des pires dictateur que l’Amérique Latine ait connu, des milliers de malheureux furent arrêtés, emprisonnés et torturés, parfois juste pour avoir refusé d’offrir leur fille au chef suprême, tyran mégalomaniaque et grand consommateur de chair fraîche. La famille Cabral, La Hinca, Bélicia, Lola, Oscar, et les autres, furent tous plus ou moins victimes de cette généalogie de l’horreur, comme peuvent l’être les cibles d’une malédiction ancestrale. Cette malédiction, sur l’île, c’est le Fukù et tous les Dominicains y croient. Tout comme ils croient au pouvoir bénéfique du Zafa, le seul contre-sort efficace contre la poisse Fukù. Croyances et superstitions qui donne une couleur particulière au livre, une teinte fantastique sur laquelle Díaz n’hésite pas à s’appuyer pour envoûter son lecteur.
Saint-Domingue parano
Ecrit à la première personne par des narrateurs qui s’expriment à tour de rôle (même si le conteur principal reste le seul ami d’Oscar), La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao est bourré de clin d’œil à l’âge d’or de l’heroic fantaisy et de la science-fiction, à Tolkien et aux Seigneur des anneaux (Trujillo est souvent comparé à Sauron, il est « l’Œil », qui surveille et voit tout à Santo Domingo), une littérature de genre que Díaz aime et connaît, c’est certain. Dans une langue dynamique usant de l’argot hispano-américain, Díaz multiplie les digressions, parenthèses, commentaires et notes de bas de page. Il établit des listes interminables de tortionnaires tropicaux, hommes de mains bien connus du régime, violeurs, voleurs et barbouzes à la solde du dictateur, dont les méfaits, tous plus atroces les uns que les autres, sont traités par l’auteur avec un humour outrancier totalement hilarant. Tel un Gabriel Garcia Marquez exilé sur le continent Nord américain, Díaz décrit avec gouaille un monde attachant et excessif, dans un style ample et pittoresque qui embarque son lecteur dans un tourbillon tropical. On en sort tout ébouriffé.
Junot Díaz, La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao, Plon, 2009.










