Critique du roman : Du domaine des Murmures, de Carole Martinez
Les murmures de Carole Martinez sont ceux qui nous parviennent du temps immémorial où les hommes vivaient dans la crainte de Dieu et de son Eglise, du temps médiéval où les chevaliers rustres et gonflés d’orgueil partaient en croisade, du temps féodal où le merveilleux s’invitait facilement dans la vie des gens, où les superstitions couraient la campagne et nourrissaient les esprits craintifs et asservis de mythes et légendes peuplés de saints et de démons.

Les murmures de Carole Martinez sont surtout ceux des femmes corsetées par la société, clouées au pilori entre l’icône de Marie et l’image de Lilith, dominées et violentées par les hommes, réduites à appeler de leurs voeux la protection d’un Dieu qui exige en retour le sacrifice de leur vie. De la servante ogresse à la jeune simplette, de la vieille nourrice à la fille du seigneur, toutes sont déchirées entre leur devoir et leurs désirs, leur honneur et leurs aspirations. Certaines bravent les conventions sociales et les dogmes idéologiques et meurent enveloppées de la rumeur du monde béatement admiratif ou rageusement hostile.

Esclarmonde, jouvencelle du fief des Murmures, ose affronter l’autorité de son père et des hommes en refusant de se marier à celui qu’on a choisi pour elle. Elle sait que son éclat au pied de l’autel la met au ban de la société et fait d’elle une paria. Elle décide alors de devancer la sanction en demandant à être cloîtrée dans une chapelle pour consacrer sa vie à Dieu.

Les deux années de la construction du bâtiment sont une sorte de couloir de la mort, un purgatoire au cours duquel elle fait ses adieux au monde et se prépare à vivre emmurée entourée de l’aigreur et de l’amertume de son père outragé par sa conduite. Sa force de caractère, son amour proclamé du Christ, son abnégation et quelques évènements ressentis miraculeusement lui gagnent l’admiration des gens.

Elle entre dans sa «  logette » de la chapelle Sainte-Agnès auréolée de sa virginité et de sa foi. Ses yeux voient désormais à travers deux trous de maçonnerie la vie qui s’écoule ordinairement autour d’elle : l’hagioscope lui donne une vue sur l’autel et la vie religieuse quand la fenestrelle lui octroie un angle de vision sur la cour et les préoccupations temporelles. Son regard sur le monde est certes physiquement entravé mais gagne en acuité, en discernement, et ses yeux se dessillent peu à peu. N’ayant pas fait vœu de silence, elle reçoit les doléances de pèlerins venus chercher consolation. Vierge et quasi sainte, elle est adulée d’autant que la Mort a déserté le fief des Murmures depuis sa claustration.

Neuf mois plus tard naît sur la paille de la logette un enfant portant sur la paume de ses mains les stigmates de la croix…

Carole Martinez est une conteuse fantastique qui nous entraîne dans les méandres aussi merveilleux qu’effrayants de la superstition, de la domination, de l’oppression, de l’amour et du désir, de la maternité. La femme est à l’honneur, joyau imputrescible, nymphe frondeuse et brave soldat d’un monde façonné par et pour les hommes. De miracles en mensonges, de renoncement en rébellion, de soumission en prodiges, elle nous transporte dans ce monde féodal cruel et magique, serti de mots désuets et de valeurs archaïques dont les réminiscences viennent enchanter puis hanter l’esprit du lecteur.

Du domaine des Murmures, de Carole Martinez, éditions Gallimard, 18 août 2011, 201 pages

 

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