
Esclarmonde, jouvencelle du fief des Murmures, ose affronter l’autorité de son père et des hommes en refusant de se marier à celui qu’on a choisi pour elle. Elle sait que son éclat au pied de l’autel la met au ban de la société et fait d’elle une paria. Elle décide alors de devancer la sanction en demandant à être cloîtrée dans une chapelle pour consacrer sa vie à Dieu.
Les deux années de la construction du bâtiment sont une sorte de couloir de la mort, un purgatoire au cours duquel elle fait ses adieux au monde et se prépare à vivre emmurée entourée de l’aigreur et de l’amertume de son père outragé par sa conduite. Sa force de caractère, son amour proclamé du Christ, son abnégation et quelques évènements ressentis miraculeusement lui gagnent l’admiration des gens.
Elle entre dans sa « logette » de la chapelle Sainte-Agnès auréolée de sa virginité et de sa foi. Ses yeux voient désormais à travers deux trous de maçonnerie la vie qui s’écoule ordinairement autour d’elle : l’hagioscope lui donne une vue sur l’autel et la vie religieuse quand la fenestrelle lui octroie un angle de vision sur la cour et les préoccupations temporelles. Son regard sur le monde est certes physiquement entravé mais gagne en acuité, en discernement, et ses yeux se dessillent peu à peu. N’ayant pas fait vœu de silence, elle reçoit les doléances de pèlerins venus chercher consolation. Vierge et quasi sainte, elle est adulée d’autant que la Mort a déserté le fief des Murmures depuis sa claustration.
Neuf mois plus tard naît sur la paille de la logette un enfant portant sur la paume de ses mains les stigmates de la croix…
Carole Martinez est une conteuse fantastique qui nous entraîne dans les méandres aussi merveilleux qu’effrayants de la superstition, de la domination, de l’oppression, de l’amour et du désir, de la maternité. La femme est à l’honneur, joyau imputrescible, nymphe frondeuse et brave soldat d’un monde façonné par et pour les hommes. De miracles en mensonges, de renoncement en rébellion, de soumission en prodiges, elle nous transporte dans ce monde féodal cruel et magique, serti de mots désuets et de valeurs archaïques dont les réminiscences viennent enchanter puis hanter l’esprit du lecteur.
Du domaine des Murmures, de Carole Martinez, éditions Gallimard, 18 août 2011, 201 pages