
Comment nait Des choses fragiles
Il faut parler Des choses fragiles pour ce qu’elles sont : une collection imposante composée de nouvelles, de poèmes et de novellas (petits romans ou appendices romanesques), glanées dans des magazines de SF, des magazines littéraires, sur le web, des recueils de nouvelles, des livrets de CD (pour Tori Amos notamment) ou alors pas parues du tout et donc complètement inédites.
Dans un entretien intéressant placé en annexe, Gaiman raconte comment il fonctionne : certaines des histoires sont nées dans des hôtels, dans des gares, l’une lui est venue pendant un voyage en avion. Gaiman semble assailli par ces bizarreries qui empruntent à tous les registres du genre : le fantastique évidemment, option Poe avancé, le macabre option Barbey, la SF façon Stefan Wul ou le génie genre Bob Scheckley auquel Gaiman rend un bel hommage ici. Les idées dorment en paix dans des pochettes, jusqu’à ce qu’on demande à leur auteur une nouvelle sur un thème précis ou alors vraiment n’importe quoi. Il ouvre sa boîte à merveilles et se remet à l’ouvrage pour façonner le matériau comme il doit l’être. Il y a dans cet artisanat une facilité qui désamorce tous les discours idiots et autres poncifs sur l’inspiration et la figure de l’artiste. « C’est la longueur qui fait toute la différence, explique Gaiman. Ecrire un roman revient à courir un marathon. » Les nouvelles apportent un plaisir immédiat. Ce sont de petits sprints. On peut voir son temps en quelques secondes (ou en quelques années) et c’est ce qui est appréciable.
Une Fantaisie littéraire
Des Choses Fragiles compte un paquet d’histoires exceptionnelles comme « Une étude en vert » avec Sherlock en héros invité (normal, elle ouvre le recueil), « La Présidence d’octobre » (un dialogue entre les mois de l’année) ou encore l’horrifique « Nourrir et Manger » (une histoire de vampires contrariée qui est ma « courte » préférée). « Comment parler aux filles pendant les fêtes » est incroyable pour une histoire de surboum. Imaginez que vous avez treize ans et que vous êtes invité à une boum. Au bout d’un moment, vous vous rendez compte que Vic (Sophie Marceau remember) est un ALIEN. Gaiman a évolué depuis Miroirs et fumées. Il ne recherche plus nécessairement l’effet final qui généralement caractérise l’art de la nouvelle et aime garder une certaine ambiguïté sur ses chutes. Cela renforce le mystère et permet aux histoires de nous hanter plus longtemps.
Il faut lire, dans le genre, « L’oiseau-soleil » qui raconte l’histoire des membres du Club des Epicuriens en route pour l’Egypte où ils veulent déguster la chair d’un oiseau mythique (le sunbird) et à qui il arrivera des choses et des choses et des choses. Cette nouvelle ne se situe pas très loin du plat de résistance du recueil qui pourrait aussi bien être l’impeccable « Goliath », écrit à l’époque où Matrix n’existait pas encore, que « Le Monarque de la Vallée », une coupe de 70 pages, une suite, un prolongement d’American Gods, le meilleur roman de Gaiman à ce jour (8 ans déjà, il va falloir surveiller ça de près). Ombre, le héros du roman, est en Ecosse et se fait embaucher comme agent de sécurité dans une sorte de sauterie bourgeoise à l’extrême Nord du pays. Il se retrouve assez vite au cœur d’un affrontement mythologique qui a un charme fou. Bret Easton Ellis a ses vampires de fin d’aventure. Gaiman a ses dieux gaéliques. Son Beowulf hollywoodien marchera moins bien après ça – un désastre même – mais la mère de son Grendel est très bien.
Lire Des Choses fragiles est quelque chose qu’on ne peut que recommander. « Le jour de l’arrivée des soucoupes » est un chouette petit texte. « Ma vie » a de l’allure. Il y en a plein d’autres. Il y en a qui se goinfrent de biscuits apéros. Pour votre bien, préférez les nouvelles.
Neil Gaiman, Des Choses fragiles, Au diable Vauvert, 2009.