
C’est à ce constat triste et sanglant que nous invite Padura et son écriture belle et ouvertement surannée. De longs passages sont consacrés à la découverte de la littérature cubaine, trouvailles incroyables de livres dont la citation constante des auteurs et des titres ne nous dit presque rien mais dont la présence est si prégnante entre les mains du Conde qu’elles deviennent des reliques magistrales. Tout comme les moments partagés avec ses amis autour de fastueux repas que les ventes de ces mêmes livres permettent et que Padura nous décrit par la recette, alléchant passages habilement distribués qui nous font saliver et donc… rencontrer l’estomac d’un peuple affamé.
Quitte moi !
Et puis il y a Violeta Del Rio, sublime chanteuse de boléro ballottée dans la tourmente d’une histoire perdue, quête d’un passé en lamé or devenu aujourd’hui aussi peu clinquant que les tenues des prostituées usées par un tourisme sexuel qui refuse de dire son nom. Femme sublime dont ne subsiste plus qu’un unique 78 tours auquel El Conde vient régulièrement s’abreuver, se saouler, se raccrocher. Ironie perspicace autant que prémonitoire, la belle inconnue chante « Quitte moi » sur la face A. Et sur la B : « Tu te souviendras de moi ». Définitivement, Violeta est Cuba. La femme, une île. Au-delà de l’enquête à laquelle se livre le héro de Padura, il y a dans Les brumes du passéune vaste mélancolie avouée qui semble résonner dans toute l’âme de Cuba.
Jamais Padura ne se livre à un procès de la politique de Castro. Est-ce par crainte de la censure ? A l’heure de la transmission des idées via internet la question se pose. D’ailleurs, l’auteur ne se livre pas non plus à une critique des Cubains qui ont fui l’île et attendent, année après année, la mort du barbu pour rentrer. Mais ce que l’on sent dans ce roman magnifique à plus d’un titre, c’est le regret d’une Histoire qui a mal tournée, d’un rêve au sortir duquel un peuple entier s’est abîmé dans une gueule de bois qui semble ne jamais devoir finir. A la 353ème page, on comprend que Cuba n’a jamais connu une aventure durable à la hauteur de ses espérances et que l’avenir est sérieusement bouché.
Les Brumes du passé, Leonardo Padura, Editions Métailié