Autour de  : Capitalisme, désir et servitude , Frédéric Lordon

Une vision très intéressante de la déshumanisation et de la perte de sens de la société que l’on perçoit hélas très nettement dans les grandes entreprises où les hommes sont instrumentalisés et transformés de facto en robots productivistes avec cette obsession et du chiffre et du reporting. Tout cela tue l’humanité et la créativité, fait fi de la diversité à travers un moule normatif dont les prosélytes sont des consultants qui parasitent tout cycle de décision, bref l’homme sous prétexte d’efficacité devient par appât du gain et par une confiance exagérée dans la progrès technologique l’artisan docile de sa propre destruction.

Dans ce que j’essaie de transmettre, les mythes ne sont pas un refuge. Ils sont comme des utopies qui inspirent le fonctionnement des sociétés. J’utilise l’expression « possession au sens des sorciers » pour illustrer cette idée. Dans la civilisation industrielle, l’inspiration a été annoncée par Descartes :  » Je vis que le temps était venu de nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » . Non pas « maîtres et possesseurs« , mais « comme maîtres et possesseurs« , car le seul maître possible pour Descartes, c’est Dieu. Donc, il prévoit que l’Homme va se prendre pour Dieu : c’est l’annonce du délire matérialiste, le refus de la mort etc.
Je perçois cette évolution, qui a été identifiée par Heidegger en 1953, comme le ge-stell (la réquisition) comme une forme de possession au sens des sorciers. D’où l’idée que la société est comme possédée par cette réquisition et que la sortie est une sorte de désenvoûtement.

Cette « possession » comme vous dites, au sens d’un processus qui contrôlerait les hommes en leur imposant la loi de son propre devenir, au sens althussérien d’un procès sans sujet, il a un nom : autovalorisation du capital, décrit par Marx au 19 ème siècle, et donc des causes politico-économiques clairement identifiables. Beaucoup de textes marxistes et même non marxistes (F. Lordon Capitalisme, désir et servitude) l’analysent avec acuité.

Bien sûr, les textes de Marx et de ses successeurs (Gramsci etc.) donnent une lecture pertinente de cette évolution. Néanmoins, ça reste une lecture matérialiste, qui présuppose que l’autovalorisation, pour prendre votre terme, du capital est inévitable, car il est dans la nature du capital de chercher à augmenter sa puissance sans limite.
D’abord, cette augmentation de la puissance sans autre finalité qu’elle même, je l’identifie comme une idée mythique, un cheminement vers une toute puissance à l’évidence inaccessible.
Ensuite, je constate que bien des puissants ne savent plus quoi faire de leur puissance. Ils accumulent des possessions dont ils n’ont pas le temps de s’occuper, confient le soin de gérer leurs biens à des intermédiaires ou imitent ce que font leurs semblables. Il n’y a pas d’autre sens à cela que l’accumulation mimétique.
Ce processus me semble avoir atteint une telle banalité que le désir d’autre chose, de quelque chose qui ait du sens, ne devrait pas tarder à se manifester. C’est mon intuition, mais je ne suis pas certain qu’elle soit juste.
La poursuite de la trajectoire actuelle mène au contraire vraisemblablement à

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