
Avis sur Hypérion
Il est rare qu’un roman étranger arrive en France avec une réputation comme celle d’Hypérion. Aux USA, ce livre a enthousiasmé la critique dans son ensemble, pour des raisons évidentes. Il était naturel qu’il paraisse chez nous dans la prestigieuse collection Ailleurs & Demain, qui a publié tant de chefs-d’œuvre et de livres-univers, de Dune à Radix … autant de romans qui ont, à juste titre, marqué leur époque. Et gageons qu’Hypérion — et sa suite, sur laquelle je m’étendrai plus loin — connaîtra le même succès que ses illustres prédécesseurs.
Dans ce fort volume de presque 500 pages, avec Hypérion Dan Simmons présente plusieurs modes de transport interstellaire, une bonne centaine de planètes aussi curieuses que Mare Infinitum ou Hypérion, qui donne son titre au roman, des cyberpunks — utilisant des matrices gibsoniennes ! —, toutes les religions possibles et imaginables, des intelligences artificielles, une créature improbable et meurtrière nommée le Gritche, ou Seigneur de la Douleur, deux cents milliards d’hommes, des Tombeaux vides qui « remontent » le temps, un prêtre catholique « possédé » par la croix qu’il porte sur la poitrine, des villas dont chaque pièce se trouve sur un monde différent, des éditeurs véreux, pas mal de pages d’histoire — passée et future —, la Terre détruite par un trou noir, un poète alcoolique qui fut multimilliardaire, une détective privée qui porte en elle… je ne vais pas vous infliger la liste complète, hein ? Hypérion est un livre d’une richesse infinie car il tient compte de tout ce qui a pu se faire en matière de SF — devenant dès lors un fabuleux gisement de détails « qui font vrai » pour tous les scénarios futuristes. Il s’agit de toute évidence du roman d’un érudit, avec tout ce que cela peut comporter d’irritant quand la référence se fait trop précise — comme lors des voyages dans l’infosphère qui doit beaucoup au cyberspace de Bill Gibson. En fait, après avoir terminé ce pavé, j’en suis encore à me demander s’il contient une seule idée originale, vraiment originale. Le Gritche, peut-être… Mais il faudra attendre la fin du second voume pour en être certain.
Car voici le problème : ainsi que je vous l’avais suggéré dès le début de cette chronique, ces 500 pages ne forment en fait que la première partie d’un roman deux fois plus gros. Hypérion s’interrompt au moment précis où tout est sur le point de commencer réellement. Et malgré l’enthousiasme que ce début a fait naître en moi — il y avait longtemps que je n’avais pas dévoré un livre de SF avec une telle avidité et une jubilation aussi intense —, je me permets de réserver mon jugement jusqu’à la partion de The Fall of Hyperion, en janvier prochain.
La Chute d’Hypérion : avis

Suite d’Hypérion, ces deux livres constituent en fait un seul roman, coupé en deux pour des raisons de longueur. Et La Chute d’Hypérion, comme son grand frère, sera pour le MJ amoureux de space opera un filon d’une richesse inégalée.
Le personnage central de ce second tome est Joseph Severn, autrement dit un second cybride de Keats (1), qui dans ses rêves assiste aux actes et discussions des pèlerins aux prises avec le gritche et les Tombeau du Temps. Chaînon manquant entre l’humanité et la TechnoCentre, domaine des intelligences artificielles, Severn semble beaucoup intéresser Meina Gladstone, la présidente du Retz, qui a bien du mal à décider de la tactique à adopter face à l’essaim extro qui attaque Hypérion, où les pèlerins affrontent leur destin.
La Chute d’Hypérion permet de réaliser à quel point le premier volume pouvait être piégé. Ici, il fait éclater l’idée que le lecteur avait de ce futur par touches progressives, jusqu’à la révélation presque finale : l’identité de l’ennemi, et sa localisation. Révélation qui entraîne non la destruction de l’humanité, mais d’un élément essentiel de son organisation sociale — et ne comptez pas sur moi pour vous révéler lequel ! Tout se passe en fait comme si Simmons n’avait pris autant de soin à décrire l’univers d’Hypérion que pour mieux l’anéantir en fin de compte. Une démarche au fond classique — beaucoup de mondes de SF n’ont été créés qu’en vue de leur destruction.
Là où les choses se gâtent, c’est dans la progression de l’intrigue. Comme L’Échiquier du mal, La Chute d’Hypérion n’est pas exempt de longueurs. Malgré les coups de théâtre qui se succèdent — parfois artificiellement — on a souvent l’impression de piétiner. Cela tient à la longueur du livre et au grand nombre de personnages. Laisser Untel suspendu au bord d’un abîme, avec les doigts qui glissent doucement, pendant des dizaines et des dizaines de pages, histoire de voir ce que font pendant ce temps-là les autres protagonistes, est une technique littéraire bien connue ; on peut même en rajouter avec de brèves allusions insérées dans les autres lignes de narration, afin d’accentuer le suspense. Mais lorsque ce sont quatre, cinq ou six personnages ou groupes de personnages qui se retrouvent sur le fil du rasoir, le lecteur finit par avoir une impression de « fabriqué ». Enfin, lors du crescendo qui occupe l’essentiel de la deuxième moitié de La Chute d’Hypérion, l’avalanche de révélations, toutes plus vertigineuses les unes que les autres, finit par lasser — d’autant que certaines d’entre elles paraissent un peu abusives. Et Simmons a beau justifier l’importance accordée à la religion et à la théologie lorsqu’il dévoile la véritable nature de la lutte, il faut tout de même de la bonne volonté pour marcher dans son empilement mystico-scientifique quelque peu brouillon.
La lecture d’Hypérion laisait penser que Dan Simmons était un grand auteur — voire un génie, comme l’ont écrit certains. Celle de La Chute d’Hypérion remet les pendules à l’heure : Simmons se contente d’être un bon faiseur, et son dyptique un bon roman de SF. Ce n’est déjà pas si mal.