« Le développement de la communication repose sur l’interrelation des mouvements de la technique et de la société. Si au début XXe la communication devient successivement celle de l’Etat puis des marchés, si au tournant du XIXe et XXe elle devient celle de la famille, au cours de la deuxième moitié du XXe elle touche aussi bien au domaine économique qu’au privé, on peut parler de communication globale »1.
Voyons les transformations de la communication dans le domaine privé :
– L’individualisation de l’espace public
Fin XIXe, les cafés parisiens deviennent des lieux d’observation des foules solitaires qui se croisent sur les grandes avenues; dans ces cafés les gens se côtoient sans se parler ; le flâneur devient un personnage typique décrit par BAUDELAIRE, POE, Walter BENJAMIN, ZOLA… « cette vie privée dans les lieux publics se manifeste non seulement dans les rues ou café mais aussi au théâtre »2 : il y a au théâtre, passage progressif d’une écoute collective bruyante à une écoute individuelle plus silencieuse (BALZAC le note), on peut retenir des loges à l’année, converser, inviter qui l’on veut, « un chez soi reconstitué au théâtre 3
Ainsi les différents lieux publics vont voir émerger diverses manifestations, rôles, normes d’ordre privatif : à ce titre, « la loge du théâtre constitue donc un monde d’articulation nouveau entre l’espace public et l’espace privé. C’est première tentative de privatisation du spectacle »4 (le public des loges se donne en spectacle, il regarde et est vu : c’est le théâtre à l’Italienne !).
– Le cinéma : le dernier spectacle collectif
Contrairement au théâtre, le cinéma resta longtemps un spectacle essentiellement populaire : une expérience sociale collective. Puis dans les années 20 devient loisir de masse. Et avec l’avènement du cinéma parlant qui suplante le muet, on change de régime de socialité : « il s’agit de la disparition d’un mode de communication, de participation au spectacle »5 . Il y a désaffection populaire devant la nécessité de l’écoute silencieuse !
– La TV, écoute familiale
Ainsi le public est-il disponible pour recevoir la TV qui prolonge la tradition communicationnelle de la radio : familiale.
Le disque va lui aussi trouver son public avec les teenagers, pour une culture de l’écoute de chambre (à ce titre il faut noter que c’est au début XXe que né le concept d’adolescence selon deux figures : celle de la conformité et celle de la délinquance. Le rock des années 50 réactualise ces figures de façon paroxystique en créant une sorte de foyer juxtaposé ou la culture ado s’oppose à la génération des parents). Bref, « le nouveau mode de consommation individuel de la musique qui est né avec le transistor »6 trouvera une modalité nouvelle 20 ans plus tard avec le baladeur : il s’utilise dans la rue mais aussi au foyer « la pratique juxtaposée du baladeur fait disparaître le son collectif, point de référence de la vie familiale »7, et, utilisé à l’extérieur, avec le roller par exemple, il se pratique dans la foule : c’est « le plaisir d’être seul dans la masse, d’être chez soi et en dehors de chez soi »8.
L’ambiguïté du comportement du baladeur se retrouve dans la messagerie télématique : le messageur est chez lui et ailleurs. De plus , la possibilité qui lui est offerte de « jouer » à distance des rôles lui permet d’extérioriser des sensations, images, représentation de lui-même.
Avec la TV personnelle, l’écoute familiale s’investit dans le média télévisuel, la multiplication des TV et chaînes représente pour chaque membre de la famille l’écoute.
– La communication nomade
« Les deux tendances qui caractérisent l’usage de la communication depuis 30 ans : réception individuelle, appareil transportable, se diffusent d’un média à un autre et investissent surtout les nouveaux médias »9 (ex : la téléphonie mobile). « La communication mobile constitue le point d’aboutissement d’une transformation de longue durée de l’espace public et de l’espace privé. L’espace privé est devenu le lieu principal de loisir, consommation de la musique et spectacle à domicile. Cet espace en lui-même éclate en plusieurs petites cellules juxtaposées »10. Mais se replie sur l’espace privé ne signifie pas fin du public : au contraire, il est investit du privé communicationnel (cinéma en plein air des années 50, baladeur, portable aujourd’hui).
1 Patrice FLICHY, Une histoire de la communication moderne. Espace public et vie privée », La Découverte, 1991, p. 210
2 p.211
3 p.213
4 Idem
5 p.219
6 p.230
7 p.231
8 Idem
9 p.234
10 p.236