La persistance de moines obéissant à une règle édictée au VIe siècle est une énigme pour l’immense majorité de nos contemporains. S’il s’agit de faire entrevoir le pourquoi et le comment de cette vie fondée sur le choix radical de Dieu, il existe, sur place, l’excellent musée de la Correrie. Mais le livre peut jouer un rôle déterminant. Ce livre-ci est né d’une collaboration entre l’éditeur Jacques Glénat, le Musée dauphinois (qui présente régulièrement de riches expositions sur la Chartreuse) et les chartreux eux-mêmes. Son but est « d’apporter tous les éléments de connaissance qui sauront lever le voile sur les mystères de la Grande Chartreuse, ou au moins d’approcher le dernier et irréductible mystère, celui de la foi qui a conduit des hommes à faire vœu de la solitude et du silence absolus. Et, ce faisant, d’ouvrir une réflexion sur la relation des hommes à l’au-delà, comme sur la permanence des institutions humaines. »
Pour cela, l’on a fait appel aux meilleurs spécialistes des études cartusiennes, dont les contributions occupent peu à peu l’espace qui va de la réalité matérielle de la vie cartusienne à sa plus haute spiritualité. Les historiens évoquent le peu que l’on sait du premier chartreux, Bruno, qui s’installe au lieu dit Casalibus (aux Cabanes) en 1084, expliquent la notion de « désert », exigence spirituelle appelant l’institution juridique d’un espace protégé, qui s’est inscrit au long de neuf siècles au pays de Chartreuse, retracent l’histoire du monastère, marquée par l’obstination des moines à reconstruire après avalanches et incendies et à revenir après les exils (la Révolution, l’expulsion de 1903). On peut alors décrire les murs, avec une présentation architecturale qui explique l’état présent par les avatars du passé et s’étend à la Correrie, à Casalibus et aux haberts, étables-granges pour l’activité pastorale des chartreux.
La Galerie des Cartes (77 peintures sur toile représentant une partie des maisons de l’Ordre au long des siècles et à travers le monde, moins d’un tiers : le livre en reproduit une vingtaine) est l’occasion de traiter du rayonnement de l’Ordre. Puis c’est l’exploration de la bibliothèque pour laquelle le mot de Guibert de Nogent (1124) est définitif : « Quoiqu’ils se mortifient dans une pauvreté absolue, ils amassent une bibliothèque très riche », — laquelle passa, à la Révolution, à la Bibliothèque de Grenoble, « dont elle constitue un des plus beaux joyaux », écrit Paul Hamon, qui en est le conservateur honoraire. On le croit volontiers quand on lit les études suivantes (et savantes) sur les manuscrits du Moyen Age, les incunables de François du Puy et l’activité des moines copistes, études illustrées de précieuses enluminures, lettrines, bois gravés, reliures.
A leur retour en 1816, les chartreux se mirent à reconstituer une bibliothèque : une fois de plus.
La Grande Chartreuse. Au-delà du silence, Collectif Glénat, 240 X 320 mm., 176 p. couleur, 45 €